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Orgo-Life the new way to the future Advertising by AdpathwayMaya Cousineau Mollen, poète innue originaire d’Ekuanitshit, signe Pour chaque perle offerte, un recueil à la fois introspectif et politique où s’entrelacent mémoire blessée, humour et nostalgie du territoire. Lauréate du Prix du Gouverneur général en 2022 avec Enfants du lichen, elle poursuit sa mission de « passeuse de mots », entre guérison intime et engagement collectif.
En entrevue, Maya Cousineau Mollen sourit doucement derrière ses lunettes d’un rose délicat. Sur la table, quelques-uns de ses livres – Bréviaire du matricule 082, Enfants du lichen, Pour chaque perle offerte – tracent un parcours de résistance et de lumière.
Je ne considère pas la poésie comme un travail, dit-elle. Je suis une passeuse de mots. Parfois, j’ai l’impression que les ancêtres me prennent pour exprimer leur rage, leur peine, leur douleur. Des choses qu’on n’a pas encore pleinement reconnues ici.
La genèse de son nouveau recueil, Pour chaque perle offerte, s’ancre dans une rencontre inattendue, celle de l’écrivaine et éditrice Marie Hélène Poitras, qui signe la préface de l’ouvrage. Les deux femmes se croisent pour la première fois à Ottawa, lors de la remise du Prix du Gouverneur général, en pleine pandémie.
On nous avait regroupés par cohorte, se souvient la poète. En visitant les archives du Canada, j’ai réalisé qu’il n’y avait presque rien sur les Premières Nations. Tout montrait l’aventure coloniale. J’étais vraiment choquée, raconte-t-elle.
Cette visite agit comme un déclencheur. Là où d’autres se seraient contentés d’une indignation polie, Cousineau Mollen choisit la parole poétique comme terrain de résistance. Je me suis dit : "Ce n’est pas normal". La mémoire est une faculté qui oublie, mais il y a des limites.
Autour d’un repas improvisé, les deux femmes découvrent une affinité intellectuelle et un même désir de créer un espace où les voix puissent s’affirmer sans filtre. Marie Hélène m’a dit qu’elle était éditrice aux éditions de L’Hexagone. Très vite, l’idée de ce livre s’est imposée, comme une évidence, raconte la poète.
Pour Maya Cousineau Mollen, cette rencontre n’était pas un hasard. Quelquefois, les pauses ne sont peut-être jamais inattendues, elles sont écrites dans le ciel, confie-t-elle. Cette parenthèse forcée, née d’un moment de réflexion, s’est transformée en une période fertile d’écriture et d’amitié.

Maya Cousineau Mollen rappelle que par le prisme de ses vers la poésie peut tout dire.
Photo : Radio-Canada / Ismaël Houdassine
Face à l’intolérance
Dans les pages du recueil, la poète pose un regard sans fard sur l’état du pays. La réconciliation, ce n’est pas encore cuit, lance-t-elle. Sur papier, ça paraît bien dans les politiques. Mais dans la vraie vie, qu’est-ce que les Premières Nations ont fait de mal, à part accueillir l’autre et lui faire confiance?
Elle observe avec inquiétude un recul, une montée du racisme au Québec. Malheureusement, certains de mes poèmes ne vieillissent pas. Ils sont encore d’actualité.
Par le prisme de ses vers, elle veut rappeler que la poésie peut tout dire, même ce que les discours officiels évitent. Les gens aiment tasser ce qu’on dit, nous fermer la boîte. Mais la poésie, tu ne peux jamais la faire taire.
L’œuvre de Maya Cousineau Mollen se nourrit ainsi de blessures intimes. Adoptée, elle a grandi à Mingan, à côté de sa communauté natale, Ekuanitshit.
Mes parents adoptifs étaient très avancés pour leur époque. Ils ont refusé de légaliser l’adoption pour que je garde mon appartenance autochtone. Mais tout ça reste très proche, ma communauté n’a été colonisée qu’en 1963, confie-t-elle.
Son recueil est traversé par la mémoire des pensionnats, dont ses parents biologiques ont subi les séquelles. Ma mère n’a jamais vraiment guéri. Quand mon frère m’a demandé de revenir dans la communauté, ça m’a bouleversée. Cinquante ans qu’on nous a volés, cinquante ans sans se connaître.
J’ai tellement travaillé pour les autres que j’ai oublié de me guérir. Là, tout me revient en même temps.

Le nouveau recueil de poésie de Maya Cousineau Mollen, Pour chaque perle offerte, est publié par les éditions L’Hexagone.
Photo : Radio-Canada / Ismaël Houdassine
La mer, la langue et la guérison
Depuis trois ans, Maya Cousineau Mollen n’a pas revu la mer à Ekuanitshit. Elle me manque, murmure-t-elle d’une voix douce. J’y retourne dans ma tête, par la poésie. J’entends la mer.
Le dernier poème du recueil, intitulé Maman…, évoque ses deux mères – adoptive et biologique – dans une phrase d’une simplicité bouleversante : Courir sur les plages de l’enfance.
La langue innue, elle la retrouve par éclats, comme une lente reconquête de ce qu’on lui a pris. Le mot utshimashkueu – titre d’un de ces poèmes qui signifie femme chef – est un terme d’affirmation identitaire, dit-elle. J’aime mêler l’innu-aimun, le français et un peu d’anglais. La langue, c’est mon outil de décolonisation.
Aujourd’hui, l’autrice vit en pause, précise-t-elle, pour des raisons de convalescence, mais aussi de guérison. Je n’ai pas de maître, pas d’employeur, pas de ligne de parti à suivre. J’ai la paix. Ça coûte cher, la liberté, mais je la savoure.
Et cette liberté, elle la met au service d’une parole indocile. Pourquoi me fait-on sentir étrangère chez moi, alors que ce sont eux qui sont sur nos terres?, s’indigne-t-elle. Avant d’ajouter, Mais je ne veux pas être pessimiste. Le travail de mémoire a commencé. Il faut continuer, ensemble, dans la solidarité.
Maya Cousineau Mollen croit que la poésie reste un rempart contre la violence. Elle s’inquiète de la situation mondiale, de l’ascension des idées d’extrême droite, de la censure, de la peur de la pensée libre… On a encore besoin de la poésie, plus que jamais.
Et puis elle sourit, les mains posées sur ses livres. Écrire lui permet de dire les choses dures avec douceur. Ce qu’elle ne peut pas dire autrement, elle l’exprime avec les mots. La poésie, c’est ma thérapie, ma manière d’exhumer ce qui me brûle. Et si mes mots peuvent toucher quelqu’un, même une seule personne, alors j’aurai fait ma part.


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