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Orgo-Life the new way to the future Advertising by AdpathwayLe labyrinthe de couloirs qui forment les bureaux de la commission Gallant est étrangement calme. Il y a quelques jours à peine, on y entendait s’agiter des dizaines d’avocats, certains plus jeunes que d’autres, et d’ex-policiers sortis de leur retraite pour revêtir, une fois de plus, leur veston d’enquêteur.
Leur mandat : comprendre comment le projet de transformation numérique de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), pourtant si prometteur sur papier, a pu virer en débâcle technologique et financière.
Ce mandat tire toutefois à sa fin. Les documents ont été lus, les témoins ont été rencontrés, la preuve a été déposée. Certains sont déjà en vacances, d’autres sont retournés profiter de leur pension, et les plus jeunes sont retournés terminer leur barreau. Seule une poignée d’entre eux resteront derrière pour appuyer le commissaire Denis Gallant dans la rédaction de son rapport final.
Dans une salle de conférence coincée entre deux longs corridors, le comité directeur de la commission d’enquête Gallant – le procureur en chef Simon Tremblay, le directeur des enquêtes Robert Pigeon, la secrétaire et administratrice Véronyck Fontaine, et la directrice des communications Joanne Marceau – a accepté de rencontrer les journalistes.
Ne manque à la table que celui qui a donné son nom à la commission qu’il dirige. Ces derniers mois, Denis Gallant a été maintenu à l’écart de l'œil – et des oreilles – des journalistes. Rares sont ceux qui ont pu l’apercevoir entrer ou sortir de l'ascenseur. On se doute que le spectre de John Gomery n’était pas bien loin, lui dont une partie du rapport sur le scandale des commandites (celle touchant l’ex-premier ministre Jean Chrétien) a été invalidée par les tribunaux après certains de ses commentaires dans les médias.
On est convaincus d’avoir retourné toutes les pierres, lance Simon Tremblay, la cravate toujours serrée, mais les épaules un peu plus basses, reprenant l’expression utilisée par son patron dans son discours d’ouverture, en avril dernier. Surtout avec nos délais.
Ce dernier mot, il reviendra continuellement au cours de la discussion.

Le procureur en chef de la commission, Me Simon Tremblay
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Il faut dire que la commission Gallant devait, à l’origine, avoir terminé ses audiences publiques le 20 juin dernier. Le rapport final, lui, aurait dû être déposé le 30 septembre, à peine six mois après le lancement officiel des travaux.
Il ne fallait donc pas perdre de temps.
Quand j’ai rencontré Denis Gallant pour la première fois, il m’a dit qu’il aimerait que tout soit en place en un mois, raconte en souriant Véronyck Fontaine, responsable de tout le volet administratif de la commission. On n’avait absolument rien. Pas de bureaux, pas d’employés, pas d’ordinateurs. Rien.
Il fallait trouver des procureurs prêts à sauter dans le train en marche. Ils ont des emplois, ces gens-là, explique Mme Fontaine. Certains ont demandé un congé sans solde, d’autres ont carrément remis leur lettre de démission.
L’équipe a commencé à prendre forme. Au début, on pensait qu’on allait engager 20 personnes, dit Véronyck Fontaine. Au fur et à mesure qu’on recevait des documents, on a compris que ce ne serait pas suffisant.
Les enquêteurs ont commencé à revenir de leurs rencontres sur le terrain avec des échos pour le moins surprenants. On a vite compris que ce n’était pas juste un petit contrat informatique, affirme Simon Tremblay.
Le groupe a grossi. Ils sont arrivés, un autre, et un autre, et un autre, raconte Me Tremblay, pour atteindre 70 personnes au plus fort des travaux. On a embauché jusqu’à la fin, ajoute Mme Fontaine.

La secrétaire générale, Véronyck Fontaine, était responsable de tout le volet administratif de la commission.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Les délais, eux aussi, ont augmenté.
Devant l’ampleur de la preuve, et surtout des révélations, Québec a octroyé en juin une première prolongation au commissaire, puis une seconde, cette semaine. Il a désormais jusqu’au 13 février 2026 pour déposer son rapport final et ses recommandations.
Je pense que personne n’avait vu venir ce qu’on a finalement trouvé, avance Joanne Marceau. Mais six mois, peut-être qu’à l’avenir […] ajoute-t-elle, sans terminer son idée.
Je pense que c’était impossible, renchérit Simon Tremblay, qui fait référence à son expérience passée. À [la commission] Charbonneau, on avait commencé les audiences après six mois. Là, il nous fallait avoir tout terminé après six mois.
La commission entre maintenant, selon lui, dans sa partie la plus importante, celle de la rédaction du rapport, et surtout, de ses recommandations. C’est l’héritage de la commission.
C’est la perspective de laisser une trace qui a motivé l’équipe tout au long des travaux, affirme Robert Pigeon.
J’aimerais ça que dans 20 ans, assis sur ma galerie en train de me bercer, je me dise que maintenant, on fait ça de la bonne manière. Ça, ça serait vraiment le legs d’une commission d’enquête qui me réjouirait.

L'ancien chef de la police de Québec Robert Pigeon est le directeur des enquêtes de la commission Gallant.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
La commission qui a failli dérailler
Revenons en mars dernier. Pour constituer sa garde rapprochée, M. Gallant s’est entouré de gens avec qui il avait travaillé alors qu'il enquêtait sur la corruption et la collusion dans le milieu de la construction pour la commission Charbonneau, dont, en premier lieu, Simon Tremblay et Robert Pigeon. Des gens qui avaient l’expérience, qui connaissaient ça, une commission d’enquête, parce qu’ils l’avaient déjà fait, résume Joanne Marceau.
Mais cet air de réunion de famille a failli faire dérailler la commission avant même le début de ses travaux. C’est qu’une autre figure centrale de la commission Charbonneau, Sonia LeBel, était désormais à la tête du Conseil du trésor. Une apparence de conflit d'intérêts qui a amené l’ensemble des partis d’opposition à Québec, dans un rare moment d’unité, à demander à Denis Gallant de se récuser.
On savait qu’on avait la bonne équipe, maintient aujourd’hui Simon Tremblay, conscient que la commission à peine née était projetée dans l’arène politique.
Est-ce que c’était vraiment contre nous, ou c’était une game politique? La question se pose, dit-il. Mais je n’ai pas d’opinion là-dessus, s’empresse-t-il d’ajouter.
Dans la salle de réunion, les regards se tournent vers Robert Pigeon, qui a lui-même fait l’objet d’un article journalistique relatant un contrat de consultance qu’il avait obtenu du ministère des Transports.
Du bruit sur la ligne, lance le chef des enquêtes. Il faut apprendre à vivre avec.
On se disait : quand on va se mettre à travailler et qu’on va voir des résultats, ce sera ça, notre bulletin.
Faisons notre job, faisons-la comme il faut, et les gens jugeront.
Simon Tremblay renchérit. On savait que c’était une question de temps avant qu’on parle des vraies choses, c’est-à-dire l’enquête. Quand on a commencé à comprendre l’histoire, on n’a plus entendu parler de ça.

La directrice des communications de la commission, Me Joanne Marceau
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Pour plusieurs, les vraies choses ont commencé à la deuxième semaine des audiences publiques, au début du mois de mai, lorsque s’est présenté à la barre Guy Morneau, un fonctionnaire de carrière, qui présidait le conseil d’administration de la SAAQ à l’époque où le projet CASA commençait à prendre forme.
C’est quoi les budgets d’opération de la SAAQ? a lancé à un moment M. Morneau à Simon Tremblay, qui menait son interrogatoire.
Quand bien même que ça coûterait 50, 100, 200 millions dollars de plus, a-t-il ajouté, ce n’est pas ça qui va empêcher la Terre de tourner.
Le ton était donné pour les révélations, trop nombreuses pour être énumérées ici, qui allaient suivre.
Une commission, « qu’ossa donne? »
Au fil de ces révélations, ce qui était décrit comme un fiasco a pris des odeurs de scandale. Mais en filigrane, une question revenait constamment : pourquoi une commission d’enquête? Qu’est-ce que ça va changer, concrètement, puisque personne n’ira en prison pour ce qu’il a révélé au commissaire Gallant, et les Québécois ne reverront certainement pas la couleur de leur argent.
C’est ma question préférée, sourit Simon Tremblay, avant de commencer son plaidoyer.
Dans l’enquête criminelle, je prends le patron, le parrain, je le mets en prison. Il y a quelqu’un d’autre qui va prendre sa place. Je lui enlève de l’argent, il va en faire d'autre ailleurs.

(De gauche à droite) Robert Pigeon, Simon Tremblay, Véronyck Fontaine et Johanne Marceau.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Le travail de la commission d’enquête, c’est de comprendre c’est quoi le problème, et faire des recommandations pour changer le problème, expose-t-il, en mettant un accent précis sur ce dernier verbe.
Il cite en exemple la Ville de Laval, où il est directeur des affaires juridiques. La commission Charbonneau a, dit-il, créé des remparts efficaces, et les économies se comptent depuis par millions. Juste les contrats d'ingénierie ont baissé de 50 %.
Quand l’UPAC est rendue à faire des dossiers de faux passeports vaccinaux, c’est qu’il y a peut-être pas mal moins de corruption et de collusion qu’il y en avait dans le temps, dit-il en rigolant.
Notre job, c’est de changer le système pour éviter que ça se reproduise.
Les commissions d’enquête sont, selon lui, des exercices sains, même s’il reconnaît que les bénéfices ne sont pas immédiats.
C’est comme commencer à t’entraîner et à mieux manger. Ce sont des résultats que tu vois à moyen ou à long terme.
Au Québec, on a le courage, mais aussi la sagesse et l’humilité de faire cet exercice-là. Parce qu’on le sait, on le voit, ce n’est pas mieux ailleurs, ajoute-t-il.
Le matin, quand mon fils me dit "papa va encore travailler?" je lui réponds : "je m’en vais changer le monde". Un peu, dit-il en rigolant.
Ses collègues l’écoutent terminer sa tirade en souriant. Méchant bon pitch, mon Simon!, s’esclaffe Robert Pigeon. On en fait-tu une troisième?


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